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Entretien avec Bernard Ywanne (2015)

Dernière mise à jour : 28 avr. 2020


Bernard Ywanne

Quel est votre plus ancien souvenir de Bonneuil ?


Il remonte à mon enfance. Un de mes oncles, petit paysan, une fois sa récolte écoulée achetait une partie de celle des grandes fermes de la Brie qu’il revendait aux entreprises commerciales sur Vitry, Ivry, pour nourrir leurs chevaux, alors principaux moyens de traction de leurs voitures de livraison.

Je l’accompagnais parfois, et notamment à la ferme Vojteck, dont les équipements éveillaient ma curiosité.

Deuxième étape obligatoire sur la RN 19, l’Hôtel du Parc, hôtel-restaurant tenu avec son époux par une amie d’enfance de ma mère, Mme Sonck, dont je devais avoir, 20 ans plus tard, le petit-fils comme élève, puis célébrer ses noces d’or dans les années 70.

Si de Servon à Bonneuil le chemin n’est pas long, le parcours du petit garçon servonnais à l’instituteur et au maire bonneuillois, aura commencé très tôt… et pour durer… Le monde est petit !


Vous avez souvent évoqué les souvenirs de votre emménagement à Bonneuil en juillet 1956 : bâtiments plantés au milieu des champs, accessibles grâce à des chemins de terre éclairés par de simples ampoules qui n’éclairaient pas grands choses… Pouvez-vous revenir sur cette époque ?


Volontiers. Ce qui dominait, c’était un triple sentiment de joie, de reconnaissance et d’admiration. Nous sortions tous de logements étroits, surpeuplés et insalubres, de chambres d’hôtels meublés, la plupart vétustes, certains de bidonvilles, tel celui de Bonneuil. Et voilà que nous accédions à des logements adaptés à la composition familiale et comportant l’essentiel, notamment une salle d’eau, des toilettes à l’intérieur, bref à défaut de luxe apportant à nos foyers hygiène espace, soleil. Un progrès exceptionnel pour l’époque.

Ainsi une localité d’à peine 3000 habitants sans autres ressources que sa volonté se lançait dans la construction de 600 logements, le besoin le plus urgent au moment où par centaines de milliers nos concitoyens affluaient vers les villes à la recherche d’un emploi qu’ils ne trouvaient plus à la campagne, suite à la mutation industrielle de notre pays dans les années 50-60.

Nous étions reconnaissants à la municipalité dirigée par mon prédécesseur Henri Arlès d’avoir fait du logement son orientation prioritaire. Ce qui n’était pas le cas partout.

Nous étions également admiratifs pour la ténacité dont elle faisait preuve afin de réunir les moyens d’atteindre un tel objectif.


Comment réagissaient les nouveaux arrivants en découvrant ces logements, qui offraient le confort que la majorité des français ne pouvaient même pas imaginer ?


Ils ne se contentaient pas d’exprimer de bons sentiments. Conscients que si le toit est essentiel l’homme ne vit pas que de pierres. Il y a la vie sociale. La grande majorité des « nouveaux » bonneuillois ont participé à sa création et à son animation. Au fur et à mesure que Fabien s’agrandissait, des associations, sportives, culturelles, de loisirs, se sont multipliées, dirigées par des bénévoles tandis que la ville construisait les équipements nécessaires, l’école en premier lieu, la PMI, le 1er stade. Sans oublier les actions nécessaires à l’obtention de crédits, aux côtés des autorités locales. Avec succès souvent.


Il semble qu’il y ait eu une ambiance particulière à cette époque, une confraternité naturelle ?


Bien sûr. Cela découle de la volonté de faire quelque chose, dont je parlais précédemment. Il y avait des bonneuillois mal logés mais aussi des personnes venues d’un peu partout par le 1% d’entreprises, des administrations diverses selon les contingents d’appartements fixés par la loi. Nous ne nous connaissions pas la veille de notre emménagement. Mais nous avions enfin un toit, nous étions libérés de ce souci lancinant pesant lourdement sur notre existence quotidienne. Cela crée des liens, on a le temps de se parler de faire connaissance, de se rendre service…


Vous êtes instituteur. Quelles sont les classes que vous avez assurées à Bonneuil ?


J’ai été nommé instituteur à Bonneuil pour ouvrir la 7ème classe à l’école des garçons de Langevin-Wallon, la seule existante alors.

L’Ecole des Filles mitoyenne, comprenait 6 classes et une classe maternelle. Cette ouverture était rendue nécessaire par la mise en location du « bâtiment 3 » (40 logements), le premier de la future Cité Fabien.

J’ignorais ce jour d’octobre 1957 que j’en ouvrirais 70 autres.

J’ai assuré toutes les classes, successivement, sauf le cours préparatoire, du CE1 à la 1ère de transition.

J’ai enseigné à Bonneuil d’octobre 1957 au 31 décembre 1971, l’année où j’ai été élu Maire, et mis en disponibilité pour exercice de mandat.


Comment étaient les petits bonneuillois à l’époque ?


C’est un peu loin dans le temps. J’ai peur d’embellir une réalité de plus d’un demi-siècle.

Enfin… Je résume en une phrase : « Désireux d’apprendre et de comprendre ».

Les dernières années en 1ère de transition, mes élèves (12-13 ans) avaient ou avaient eu beaucoup de difficultés. Je passais mon temps le 1er mois à leur donner confiance en eux-mêmes et à les convaincre que l’instruction, « connaître les choses », était utile à tous les moments de sa vie professionnelle, personnelle et citoyenne.

De ce que j’ai pu en savoir, beaucoup en ont tiré profit.

Quoi qu’il en soit, le courant passait comme avec leurs parents.


Pensez-vous que l’école d’alors préparait mieux les futurs adultes à affronter la vie ?


Je suis d’une famille qui compte des enseignants. Je l’ai été également. Je suis donc à même de juger combien la société a changé depuis 30 ans.

Déstabiliser l’enseignement public, celui du peuple et des valeurs démocratiques, discréditer les enseignants, tout cela n’est pas innocent. Il s’agit de remplacer ses valeurs par une seule : le fric.

Comment voulez-vous remplir avec succès sa mission éducatrice quand un ministre fixe comme idéal aux jeunes français et comme but : devenir milliardaire. Alors que chacun en connaît le prix, les scandales, les souffrances des peuples pour un morceau de marché arraché aux concurrents.

Je pense que l’école, ses enseignants sont aussi motivés et résolus que nous l’étions. La différence c’est que nous étions portés par la société. Aujourd’hui, ils ont affaire à une jungle impitoyable où règne la loi du plus fort de plus en plus légitimée.

Cela rend leur tâche incomparablement plus difficile.


Vous avez été Conseiller municipal, Premier adjoint puis Maire de Bonneuil. Quels souvenirs conservez-vous de ces différentes étapes ?


Deux anecdotes, dont une, la seconde, vaut pour toutes les autres.

La première est classique. En 33 ans de mandat, comment ne pas l’avoir vécu au moins une fois ? C’est un après-midi d’une année 80. Je me préparais à célébrer un mariage.

Alors que la cérémonie allait commencer, le futur marié tourne brusquement les talons et dévale l’escalier de la salle des mariages poursuivi par l’ex-future mariée, fin de l’acte I.

Acte II, le soir même je les retrouve à mon domicile pour me déclarer à nouveau leur volonté de se marier.

Acte III, je les ai donc unis, pour de bon, le lendemain après avis et autorisation du Procureur de la République.

La seconde se rapporte à notre décision d’accueillir les enfants de la maternelle dès leurs deux ans.

Cela permettait à la fois de faciliter aux mamans notamment de conditions modestes d’entrer dans la vie professionnelle et une socialisation éducative précoce aux enfants. Le gouvernement de l’époque était plus que réticent pour des raisons économiques : deux enseignants de plus pour Eugénie Cotton !

Côté municipalité tout était prêts personnels, locaux, financement. Refus de l’académie. Aussitôt mobilisation des parents, élus, enseignants, et nous voilà en route pour le ministère. Mais quel cortège !

En tête une voiture avec le maire et les directrices puis venaient un autocar avec les « grands » et les parents et un camion contenant du matériel scolaire.

Nous arrivons encadrés de motards, rue de grenelle, barrée par des CRS. Nous débarquons alors et disposons tables et tableaux noirs. Les maîtresses installent les élèves. Et j’enfile ma blouse blanche d’instit et commence une leçon de dessin, en attendant la réponse du ministre à la demande d’audience.

Elle arrive positive, nous discutons et finalement obtenons que les enseignants soient nommés et les classes ouvertes.

Ce seul exemple prouve qu’agir avec les intéressés pour un objectif légitime et possible à atteindre est la clé des avancées nécessaires.


Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier ?


Toutes ont été nécessaires et se sont traduites en général par des succès après d’âpres batailles : la piscine, le centre sportif, les zones d’activités etc…

Elles correspondaient à des besoins du présent bonneuillois.

Mais celle à laquelle j’attache un caractère particulier est incontestablement la médiathèque. Car elle correspondait à des besoins d’avenir ; d’un avenir qui arrivait au grand galop : l’informatisation.

Tout en développant les activités de bibliothèque classique, elle offre toutes les possibilités d’initier un large public à l’informatique (de 7 et moins à 77 ans et plus), tout en offrant à nos étudiants, une salle d’études équipée pour faciliter l’accès à une documentation coûteuse.

Je suis particulièrement heureux que ce but ait pu être compris et atteint.


A contrario, quel est votre plus grand regret ?


De n’avoir pu trouver, acquérir et aménager, à 10-20 km un terrain pour y installer un centre de loisirs permanent, hors les établissements scolaires. Un besoin qui pointait…

On a tenté d’y remédier à H. Arlès par des locaux spécifiques au centre.


Rétrospectivement, y-a-t-il des choses que vous feriez différemment ?


Certainement, avec le temps et l’expérience ; mais en tout cas ne concernant pas des choses essentielles.


Comment percevez-vous l’avenir de Bonneuil ?


Si j’osais un jeu de mots trop facile, mais Molière l’avait utilisé avant moi alors vous me le pardonnerez, je dirais que je le vois d’un bon œil.

Bonneuil dispose d’atouts naturels importants, dont sa situation géographique. Un site qui lui a permis d’affronter avec succès les mutations économiques et sociales de ces derniers siècles. En gros, le passage de la société rurale à la société urbaine.

Je crois que ces atouts sont durables à deux conditions : être attentif à ce qui est et surtout à ce qui naît.

Sans oublier l’objectif fondamental depuis 80 ans bâtir une ville pour tous…. Avec tous ceux qui y vivent.

Cette longue marche, commencée il y a 80 ans, fait partie de l’identité bonneuilloise. Quelle meilleure garantie qu’elle se poursuivra...


Propos reccueillis par Barty Mekri, président de Bonneuil en Mémoires.



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